Notes: Les feuillets d'Hypnos
Voici le cours de présentation de la section.
1. Conditions d’écriture
Char s’engage dans l’armée en 1939, participe à des combats en Alsace et pour la défense du pont de Gien, qui lui valent la médaille militaire. Lorsqu’il est démobilisé, il renonce à retourner à Paris où il vivait depuis 1929 et où il fréquentait les artistes surréalistes. Il retourne chez lui à l’Isle-sur-la-Sorgue, puis à Céreste dans les Basses Alpes (aujourd’hui Alpes de Haute Provence). Il entre dans la clandestinité dès 1941, s’engage dans l’Armée Secrète (A.S.) sur un secteur compris entre Digne et Céreste. Il prend le nom d’Alexandre. Il est successivement chef du secteur Durance Sud, capitaine responsable dans les Basses Alpes des parachutages (53 effectués) ainsi que de la constitution de dépôts d’armes clandestins. Il participe aussi à des actions de combat comme l’évoquent plusieurs feuillets. En juillet 1944, il est appelé pendant quelques semaines à Alger (après avoir caché ses feuillets dans un mur) où il s’occupe de l’entraînement des parachutistes et sert d’officier de liaison pour la zone sud-est. De retour en Provence en septembre, il doit assurer la reconstruction, en établissant des attestations d’états de service pour les anciens résistants, en dépistant les imposteurs comme les anciens miliciens, en modérant la violence des épurateurs. Cette période particulièrement pénible le convainc définitivement, si besoin en était, de demeurer à l’écart de la politique.
2. Les « Feuillets »
Derrière ce mot, deux notions majeures : l’éparpillement, la brièveté.
Le feuillet n’est pas la page, partie d’un ensemble construit qui se nommerait l’œuvre. Le feuillet est la « note », le fragment détaché du « carnet » (argument). Char est actif, en 43, son rôle au sein du maquis de Provence est capital. Il est en pleine responsabilité. C’est pourquoi il « ecri[t] brièvement : [il] ne peu [t] s’absenter plus longtemps » (31) et ne « s’attarde pas à l’ornière des résultats ».
Le poète n’a pas conçu les feuillets comme une unité. Il s’agit de textes de circonstance, « affectés » par « l’événement » et souvent disqualifiés par lui. Les mots clandestins sont alors à l’épreuve de leur légitimité. En effet, « survolés plus que relus », Char s’en détache : « un feu d’herbes sèches eût tout aussi bien été leur éditeur » implique qu’il envisagea de brûler ces feuillets, ce qu’il fit d’ailleurs en partie. En effet, face « au sang supplicié », que vaut la poésie ? Parfois, seul le « colt » s’avère nécessaire (50).
3. Hypnos
a) Le personnage mythologique
Frère jumeau de Thanatos, représentation de la mort, et fils de Nyx, la Nuit, Hypnos est chez les Grecs le dieu du sommeil. Il veille et déverse, à travers notamment les pétales de pavot, le sommeil sur les hommes et des dieux.
Il réside dans une caverne (124) sur l’île de Lemnos.
b) La métaphore du poète
Char refuse de se nommer, comme le montre l’avertissement : « ce carnet pourrait n’avoir appartenu à personne ».
Dès lors, Hypnos, le veilleur, se fait l’image du poète combattant. D’une part, réellement, il agit dans la nuit pour mener ses actions de résistance. D’ailleurs, Char signe un des feuillets de ce nom, dans lequel significativement il transmet ses consignes sur l’attitude à adopter (87). Il s’expose à la nuit (ou à la mort) des « ténèbres hitlériennes » (178).
D’autre part, il met sa poésie comme « en sommeil », par sa brièveté, son aspect informel et morcelé.
Mais surtout, il est celui qui symboliquement reste éveillé, en pleine possession de sa conscience, qui « conserve les infinis visages du vivant » (83), incarne cette « lyre des monts internés » (182) et se situe au-delà des hommes (88).